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Ghalib Al-Hakkak - agrégé d'arabe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le Coran, les juifs et les chrétiens


On parle beaucoup du Coran en ce moment. Livre de haine pour les uns, livre de paix pour les autres. Est-il vrai que sur toutes les pages, comme l’affirme Eric Zemmour, dans « ça se dispute » (à partir de la minute 5), il est dit qu’il faut tuer juifs et chrétiens (1) ? Si oui, il faut l’interdire en France. Immédiatement. Si non, une mise au point, même tardive, de la part du chroniqueur serait la bienvenue, au risque, dans le cas contraire, de passer sur ce sujet pour un charlatan. L’affaire est sérieuse. Zemmour inspire confiance à nombre de Français. Pour ses admirateurs, il ne parle pas à la légère. Or si un faible d’esprit parmi eux décidait d’agir, pour « se défendre », et commettait un crime en le justifiant par ce qu’affirme l’auteur du « Suicide français », que répondra l’ex-débatteur d’i-Télé ? Et que dira-t-il si un faible d’esprit musulman le croyait à la lettre ? Dans les deux cas, on n’aimerait pas être à sa place. Inutile de l’accabler. Des échos de cette pseudo expertise existent ailleurs (2). Et aujourd’hui, après les attentats abominables des 7-8-9 janvier 2015, il est plus que jamais nécessaire de vérifier ses sources en débattant de ce sujet pour ne pas verser dans une forme insidieuse d’obscurantisme.

Mais rappeler cette évidence ne répond pas à la question initiale. Qu’en est-il vraiment du texte coranique ? Comment le lire ? A quelle traduction se référer (il y en a une vingtaine en français) ? Revenons plutôt à la source, à la version arabe. Cherchons combien de fois il est dit qu’il faut tuer juifs et chrétiens. Inutile de tourner autour du pot. Cela n’existe nulle part. Le terme « juifs » apparaît huit fois, et une fois au singulier, sur environ 500 pages (3). Le terme « chrétiens » enregistre quatorze occurrences et une fois au singulier (4). Certes tous les passages correspondants ne sont pas une déclaration d’amour, mais aucun n’appelle au meurtre. Le registre est celui du débat théologique : unicité de Dieu et universalité de la révélation. Nulle part il n’est dit qu’il faut les tuer. Au contraire, les juifs et les chrétiens sont qualifiés de « croyants » auxquels le Paradis est promis s’ils se battaient pour défendre la foi (5). Le Coran établit en effet une continuité entre « Torah, Evangile et Coran » qui sont, du point de vue coranique, une même révélation, dans trois versions différentes, déformée dans les deux premiers cas et préservée dans sa dernière version, le Coran.

Allons plus loin. Regardons si le Coran appelle au meurtre d’une personne pour ce qu’elle est ou pour ce qu’elle croit. L’impératif « tue ! tuez ! » apparaît dix fois, pour moitié en rappel d’un épisode biblique. Une différence est à noter entre les verbes qatala (tuer) et qâtala (combattre). Le second doit être compris dans le sens de « se défendre » ou de « résister » et non d’ « attaquer ». Le verbe qatala « tuer », avec des accords divers, apparaît 85 fois, souvent pour évoquer un épisode biblique ou sous forme d’interdit. Le meurtre gratuit est condamné de la manière la plus évidente (6). Il y est assimilé au génocide.

Faut-il vraiment continuer cette recherche rudimentaire et un peu artificielle pour savoir si le texte coranique est une déclaration de guerre à l’humanisme, aux droits de l’Homme, à la France ? Ne vaut-il pas mieux lire quelques versets qui prônent la tolérance, comme le II, 256 (Nulle contrainte en matière de religion…) ? Ne faut-il pas s’interroger sur le sens exact du terme muslim (musulman) ? Car le Coran l’emploie pour qualifier les monothéistes (7).

Finalement, une façon judicieuse de s’informer réellement au lieu d’engranger et de répéter d’inexacts poncifs, serait de découvrir le Coran par la lecture avant tout des récits bibliques qu’il reprend, d’une manière condensée et éloquente (8). Le Christ y est mentionné 36 fois, Marie 34, Moïse 136, Abraham 69, toujours avec respect. Cela calmerait l’excitation des uns et des autres, et si l’on se donnait un minimum de connaissances en arabe pour ne pas être l’otage de quelques traductions pas toujours bien inspirées, on découvrirait qu’il y a là un texte d’un grand intérêt littéraire, de surcroît important pour comprendre les symboles dans l’actualité du moment.

29 janvier 2015 - MAJ 16 véfrier 2015
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(1) cf. vidéo « ça se dispute », i-Télé, 6 juillet 2014 – à partir de 5.01 : https://www.youtube.com/watch?v=ZH2zI3vhfmk
(2) Cf. Libération, 16 février 2015 où Esther BENBASSA se demande dans une tribune "Comment contre-t-on une lecture «littéraliste» et décontextualisée du Coran justifiant une hostilité antijuive absolue?" Là aussi, l'auteur sera incapable d'indiquer les versets incriminés.
(3) II, 113, 120 / III, 67 / V, 18, 51, 64, 82 / IX, 30.
(4) II, 62, 111, 113, 120, 135,140 / V, 14, 18, 51, 69, 82 / IX, 30 / XXII, 17.
(5) IX, 111.
(6) V, 32.
(7) II, 133 / III, 52 / X, 90… entre autres.
(8) sourates III, X, XI, XII, XIV, XVIII, XIX, notamment.