L'arabe en France

 

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Ghalib Al-Hakkak - agrégé d'arabe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

L'arabe et encore l'arabe !

La presse française nous sert de temps à autre un article sur l'enseignement de l'arabe, comme l'a fait Libération lundi dernier, 11 mai 2015. C'est toujours l'occasion de se lamenter un peu, de dire qu'on est scandalisé, puis on oublie la question quelques mois et la vie continue. Le rituel est toujours le même. On constate l'anomalie d'un décalage étrange entre une attente formidable et une offre publique médiocre en terme de nombre d'établissements proposant un enseignement d'arabe. Et encore une fois, c'est l'institution qui parle : inspection d'arabe, conseiller ministériel, enseignants d'université et du secondaire. On constate, mais on ne propose rien. On critique les chefs d'établissement, mais on ne regarde pas devant sa porte.

Or l'enjeu est ailleurs. Ni les chefs d'établissement ni les parents ni les élèves eux-mêmes ne sont stupides ou mal intentionnés. Si l'arabe proposait des résultats concrets, pédagogiquement parlant, sa diffusion serait irrésistible. Il n'y a pas besoin de libérer la ministre de l'Education nationale de sa crainte d'être critiquée, pas besoin de faire descendre du haut, de Paris, une consigne pour inciter proviseurs de lycée et principaux de collège à introduire l'arabe. Il faut que ce soit un choix voulu de la base. Il faut que la présence de cours d'arabe, géré par l'Education nationale soit un luxe désiré par tous, demandé partout où les attentes sont réelles.

Mais pour y parvenir, il faut faire le grand ménage. Il faut avoir le courage de dire que les méthodes d'enseignement sont obsolètes. Que les manuels qui dominent le « marché » dans le supérieur sont scandaleusement inadaptés, que l'initiation à l'arabe est une spécialité qui n'est étudiée dans aucune université française. Tout le monde peut s'improviser auteur de manuel. Les éditeurs, conscients du potentiel du marché, continuent de sortir manuels sur manuels.

L'arabe a besoin d'une révolution. Un printemps français de la langue arabe. Où tout se met sur la table. Pour qu'on arrête de se regarder le nombril et propager l'ignorance d'une langue et d'une culture essentielles aux intérêts supérieurs de la France. Le monde change. L'enseignement de l'arabe ne suit pas le rythme. Nos politiques y perdent leur latin et referment le dossier. Nous enseignants d'arabe, nous constatons et baissons les bras. Et tant pis si l'opinion publique continue de se méfier de tout ce qui est arabe, tant pis si nos décideurs manquent des rendez-vous majeurs avec l'Histoire concernant le Moyen-Orient et la Méditerranée. Eh oui, combien d'hommes et de femmes politiques, combien de journalistes vedettes, combien de PDG ont bénéficié d'une initiation à l'arabe ? Si la France regardait vers l'horizon de 2050 ou 2100, le dossier deviendrait prioritaire. Si l'horizon s'arrête à 2017, changeons de sujet.

13 mai 2015