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Ghalib Al-Hakkak - agrégé d'arabe

Maison pour vieilles personnes

Un Oriental qui vit en Europe éprouve toujours de la difficulté à comprendre la raison d’être de ces lieux dans lesquels on installe les vieilles personnes à la fin de leur vie. L’appellation même de « maison de retraite » est intraduisible dans des langues comme l’arabe. On ne sait pas à vrai dire ce que signifie « Dûr alaajaza » (دور العجزة) qui ont été créés dans certains pays arabes voulant « se moderniser ».

Pour les Arabes, c’est simple. Quand la vie est simple, une vieille personne finit sa vie à la maison, chez elle, entourée des siens. D’où quelques situations d’incompréhension chargées de sens. Un jour, il y a quelques mois, un drame eut lieu dans une maison de retraite en France. Cinq résidents y sont morts d’une intoxication alimentaire, semble-t-il. Le fils d’une dame parmi les victimes a menacé de porter plainte contre l’établissement. Cela est passé sans commentaire sur l’écran et sur les ondes. Dans une de mes classes à l’université à Paris devant un public où se côtoyaient des jeunes étudiants de toutes les origines, j’ai posé la question sur la perception que l’on peut avoir de cette information. Mon but était d’expliquer que l’univers culturel d’un Arabe, ne connaissant pas l’Occident, l’empêcherait totalement de comprendre l’information. D’où l’impossibilité d’en faire une traduction littérale. Certains étudiants d’origine arabe ou africaine ont bien saisi la nuance. Pour les autres c’était une invitation à réfléchir sur un fait de société d’une extrême gravité. Je veux dire le sort de certaines personnes âgées en France. Un Oriental ou un Africain dirait même que l’Etat devrait porter plainte contre le fils pour abandon d’un parent. Ils rêvent bien sûr. Ils ne comprennent rien. S’ils vivaient quelques années en France ou en Europe, ils feraient la même chose. C’est ainsi que va la vie. Ou plutôt, c’est ainsi qu’elle finit en naufrage.

Et pourtant, on aurait envie de se révolter. C’est une question de culture. Culture familiale, puis culture sociale. Les adultes qui confient leurs vieux parents à une institution spécialisée fournissent en même temps un modèle de comportement à leurs propres enfants. Et un jour ce sera leur tour d’y aller. Si Orientaux, Arabes et Africains gardent leurs parents en famille, jusqu’au dernier moment, ils entretiennent un modèle ancien que l’Europe semble avoir perdu, je ne sais comment, ni depuis quand. Est-il vraiment impossible d’inverser les choses et de recommencer à garder les parents âgés à domicile ? Je ne sais pas comment cela se passe dans le Nord, dans le Sud, en Bretagne, en Alsace, etc. Mais je sais qu’ici, dans ma région d’adoption, la Bourgogne, de nombreuses structures existent pour apporter une aide à domicile. Non seulement une aide équivalente à ce qu’offre un établissement spécialisé, mais beaucoup moins coûteuse. Et surtout, avec la garantie d’un minimum de bien-être moral et psychologique qu’aucun autre lieu qu’un chez soi n’apporte.

C’est une affaire qui revient au législateur, peut-être. En effet, c’est un devoir qui incombe aux élus d’y réfléchir. Que l’on l’appelle la « dépendance » ou la « solidarité familiale », cela n’a aucune importance. L’Etat et la société ont un rôle à jouer qui relève de la responsabilité. Mais c’est aussi un sujet que les médias devraient développer, quitte à faire quelques sacrifices en réduisant le budget consacré aux émissions de télé-réalité ou de jeu ou encore de spectacle de comiques qui ne font plus rire.

Internet est tentant. Il permet des choses incroyables. L’autre jour, je me suis mis à me demander ce que devenaient des personnes que j’avais connues à Paris et dans la région parisienne il y a plus de quarante ans. Quelques recherches m’ont apporté des réponses, dont les plus tristes me hantent encore. Plusieurs d’entre eux ont fini leur vie dans un établissement. Je l’ai appris par le message de remerciement adressé par la famille. De tels messages aussi sont impossibles à traduire littéralement en arabe.

Ghalib Al-Hakkak, agrégé d’arabe (bientôt retraité)
21 juillet 2019