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Ghalib Al-Hakkak - agrégé d'arabe

Et si la certification pouvait renforcer les enseignements des langues !

Il ne s'agit pas d'afficher une adhésion aveugle à la nouvelle disposition conditionnant l'obtention d'une licence par la passation d'une certification en langue étrangère, comme le stipule l'arrêté du 3 avril dernier (JORF n°0083 du 5 avril 2020). Il s'agit de constats et de quelques pistes de réflexion.

1. En cas de mobilité, c'est l'université d'accueil qui décide d'exiger une certification indépendante ou de se contenter d'une attestation fournie, par exemple, par le Département des langues. Je ne sais pas s'il y en a beaucoup dans cette deuxième catégorie.

2. Les étudiants m'ont toujours semblé intéressés par tout ce qui donne de l'épaisseur, au figuré, à leur dossier. D'ailleurs certaines universités continuent, sauf erreur, d'organiser des séances de passation du TOEIC en collaboration avec un organisme privé. Et cela n'a jamais menacé les enseignements d'anglais.

3. Les opposants à cette mesure, y compris certains syndicats, disent que cela va "renforcer les inégalités". Au contraire, cela peut motiver les plus faibles et stimuler les enseignements des langues et si l'université prenait en charge les frais, comme cela se fait déjà à Sciences-Po, par exemple, les inégalités reculeraient incontestablement.

4. On dit qu'il y a là "une menace pour le contenu culturel". Pas du tout. La certification n'est valable que deux ou trois ans. Et, à moins d'être particulièrement naïf, aucun étudiant ne la passera avant le second semestre de sa dernière année. Craint-on le bachotage ? Tout dépend de la politique de l'université. Si celle-ci comprenait qu'une langue étrangère nécessaire aux études et à la recherche ne vaut que si elle était associée à la culture de l'aire géographique correspondante, aucun risque de bachotage. D'ailleurs, si les cours des langues devenaient des séances de préparation à la certification, l'appauvrissement en serait tel qu'aucun étudiant ne tiendrait le coup plus d'un semestre.

5. On dit qu'on veut "faire des économies en réduisant les cours de langue". Dans toutes les universités il faut une politique linguistique adaptant les maquettes aux besoins des étudiants et à l'évolution du monde. Un rééquilibrage est constamment nécessaire entre la masse de la Langue vivante obligatoire et celle de la Langue vivante optionnelle ou facultative. Il n'y a dans ce domaine pire menace pour les enseignements des langues qu'un statu quo strict ou idéologique.

6. On dit que c'est une "menace pour les autres langues que l'anglais". Pourquoi ? Parce que les certifications réputées concernent l'anglais ? C'est un fait, mais cela peut aussi être un défi pour les autres langues.

7. On dit que cette mesure est prise pour favoriser le privé au détriment du service public, qui doit être défendu par tous les moyens. Sauf erreur, le TOEFL est créé par un institut dépendant de l'Université de Princeton (USA). Idem pour le IELTS (Cambridge). La notion de privé-public dans ces deux cas n'est pas aussi nette qu'en France. Et que dire du DCL (Diplôme de Compétence en Langue), qui est public et bien français (1). Les universités françaises pourraient le renforcer avec une version certifiant les compétences en langue dans une perspective académique, en plus de celle qui existe déjà et qui s'intéresse aux parcours professionnels.

La seule question qui vaille ici c'est le coût pour l'étudiant. Revendiquer un financement par l'université de la passation, surtout pour les boursiers et les salariés, en plus des étudiants aux revenus faibles, ne peut qu'être applaudi. Rejeter tout en bloc n'est pas crédible.

Ghalib Al-Hakkak, agrégé d'arabe à la retraite, anciennement enseignant à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
13 avril 2020



(1) DCL : https://www.education.gouv.fr/le-diplome-de-competence-en-langue-dcl-2978